Les îles flottantes sont connues ; Aude de Kerros découvre l’île fulgurante, emportée par les flots comme une comète marine.
Ile est une barque. L’arbre est mature et voilure, île prend le vent ; île sous le vent, cinglant vers les aurores ou les couchants. A bord voguent prophètes et méditants : on connaît l’adage « il y a les morts et les vivants et puis ceux qui sont en mer » …
De ces nobles vigies qu’on devine en suaire ou en toge, on ne lira pas ce qu’elles écrivent ou consultent. En l’archipel de Kerros, guère d’animaux, peu d’objets symboliques pour préciser quoique ce soit. On ne saura pas le fruit de ces pensées nées sous les flamboyants térébinthes, l’aura seule en est dépeinte : ils rayonnent ces pensifs capitaines, minuscules maîtres à bord d’une grappe de terre partie à la dérive. Mais peut-être est-ce le contraire. L’île est immobile, c’est le fleuve ou l’estuaire qui défile.
La toile est un creuset qui malaxe terre, feu, eau, air. Les 4 éléments, plus le végétal et l’homme, ce roseau pensant ; il s’éveille à sa propre genèse en méditant les vicissitudes élémentaires : une frondaison charbonne, en dessous les insulaires ont des joies de feux follets. Un arbre éventail majuscule, brosse les airs, griffe le ciel qui, à l’état liquide, se transfuse dans l’étang (en l’Etant ?).
Ailleurs Azur et mordoré se rencontrent. « Mort dorée » que le songe, léthargie splendide, bercée au couchant. Image accouchante, maïeutique des formes, pointant l’affinité élective du cercueil, de la barque et du berceau.
Baptême de feu, alchimie des âmes en métamorphose emportées par le fleuve de vie. Clarté de lampe à huile. En surface glissent les îles, vaisseaux d’argile dans une mer d’huile qui flambe. La peinture brûle sans consumer. Buisson ardent.
La peinture à l’huile est une chrismation, une onction ; aussi nécessite-t-elle un peu d’essence recueillie des grands térébinthes. L’Art pictural est comme ce biblique lampadaire gaspillé par les fols, entretenu avec ferveur par les sages. On n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau. Depuis le milieu du XXème siècle, en France, un clergé culturel nous prêche pourtant le contraire.
Retourner aux sources : André Chastel avançait que la peinture, en France, était née sur les verrières des cathédrales. Aude de Kerros a donc retrempé ses pinceaux dans la matière des vitraux en fusion, des émaux, irisations d’élytres et autres incandescences.
Christine Sourgins