Sergio Bello est un « éco-enlumineur » qui n’illumine ni texte spirituel ni docte traité mais quelques pages du Livre de la nature, rubrique Amazonie ; la composition récurrente, un rectangle avec un cercle intérieur, rappelle d’ailleurs le drapeau brésilien, pays d’origine de Bello. Mais il évoque aussi un dispositif optique, comme si, au milieu de la page, un œil nous regardait ; quiconque a séjourné dans une forêt connaît cette impression étrange d’être observé par un être invisible….
« Mangroves »
Mais le végétal qui, dans l’enluminure historique, était mineur, parfois décoratif, devient ici le sujet principal, occupe maintenant tout l’espace qui fourmille de ramures, barbelures, nervures… Parfois une feuille d’arbre véritable s’y insère comme une discrète relique : le marginal est devenu central. Bello travaille à un renversement : la nature est trop souvent déconsidérée, regardée comme une banque alimentaire à dévaliser ; « exploitation forestière », le mot sent le pillage. Aux vues prédatrices doivent succéder attention, contemplation.
« Méduse-nénuphar »
Ainsi une éco-enluminure nous place dans une contre-plongée renversante tandis qu’à droite flambe un coin de pétrole : la méduse centrale, est vue par en dessous, tandis que des poissons croisent en surface.
Méduse n’est-elle pas, depuis les grecs, la métaphore du regard qui tue ? Sur notre environnement, il est temps de changer de regard.
C’est une tragédie qui se joue dans les sylves, les mangroves, les bambous, les bordures maritimes : partout le feu couve, éclate comme une grenade de braises ; les étincelles ponctuent les pages comme autrefois le minium des enlumineurs.
Ca et là, du bois brûlé, des dents de scie, ratures sur nature. La forêt se dresse, s’ébroue, hirsute, échevelée, proteste de tous ses végétaux, hérisse ses pointes, darde ses épines ; en permanence, elle sort du cadre choisi par l’artiste : sa vitalité, blessée, demeure.
« Forêt de bambous »
« Forêt boite d’allumettes »
Les animaux sont partie prenante de cette nature menacée, leurs corps épousent ses pleins et déliés comme l’ara qui s’envole entre mer et ciel, même le serpent y laisse, mythe amérindien oblige, quelques plumes.
Au milieu de la clameur générale, des lèvres hurlantes livrent à la fois le cri de la victime, l’indien, et celui de l’artiste.
« Cri de l’oiseau de mer »
« Cri de l’amérindien : cri du monde »
Minutieux comme ces prédécesseurs, Sergio Bello use, non de parchemin mais d’un album de papier, choisissant l’acrylique pour sa solidité et la vivacité des tons. Du « fait main » par cet indien dans la ville, qui vit en altitude parisienne, perché dans une forêt de livres et de plantes vertes.
L’imprimerie et la gravure ont mis à mal l’enluminure, s’enclenchait déjà une mécanique infernale qui veut qu’une invention ne peut réussir qu’à condition d’éradiquer l’ancien, tenu pour méprisable. Comme si inventer le train périmait les jambes. Parce que Marcel Duchamp a inventé le ready-made, il faudrait que la peinture soit nulle et non avenue. La vraie Culture (comme la Grâce) ne supprime pas la Nature mais la parfait. Mais parce qu’on exalte l’Art conceptuel, toute autre démarche devrait être honnie ? Les peintres appartiendraient définitivement au passé, incapables de prendre en charge « les problèmes de notre temps », ils n‘auraient plus rien à dire : écologie, oikos logos, cette science de l’habitat leur serait lettre morte. Parce qu’il existe un « Financial art », tout artiste non spéculatif serait à rayer de la carte. Cet état d’esprit a desséché les cœurs, tétanisé les cerveaux, paralysé les mains, exténué la planète. Plus que jamais la défense de la diversité naturelle et culturelle vont de concert.
Christine Sourgins