…dans l’histoire de l’art, selon J-L Borgès
L’émergence d’un certain art, qui ne s’appelait pas encore « contemporain », ne pouvait échapper à la sagacité du célèbre écrivain argentin, Jorge-Luis Borgès. Avec son comparse, Adolfo Bioy Casares, il s‘en moque ouvertement dans les « Chroniques de Bustos Domecq »(1) parues en 1967 et l’affaire se joue en Patagonie :
En 1941, un salon des Arts plastiques ouvre ses portes avec « des œuvres concernant l’Antarctique et la Patagonie » ; le clou de l’exposition fut l’envoi patagonique d’un certain Colombres :
« Colombres, fidèle jusque-là aux aberrations les plus extrêmes du néo-idéalisme italien, envoya cette année là une caisse en bois, fort bien conditionnée, qui, lorsqu’elle fut déclouée par les autorités, livra passage à un vigoureux bélier qui blessa à l’aine plusieurs membres du jury et dans le dos le peintre-berger César Kiron.. ». L’animal, un mérinos Rambouillet de souche australienne, « n’était pas une aimable fantaisie de l’art ; c’était un indéniable et brutal spécimen biologique. Pour une raison qui nous échappe, les blessés qui composaient le plenum du jury refusèrent à Colombres le prix que son âme d’artiste, dans son illusion, caressait déjà à juste titre »…Finalement, un jury des Comices agricoles, plus large d’esprit, proclama champion le mouton…
Notons, et c’est fort symbolique, que le peintre est attaqué dans le dos. En outre, Borges a parfaitement saisi l’aspect moutonnier des sectateurs d’un certain art officiel, très mode … Ce qui se vérifie aujourd’hui encore : une cohorte de moutons de panurge, transhumant d’urinoirs en « White Cube », bêle d’admiration devant l’Art conduit aux « artbattoirs ». Et ce texte consonne malicieusement avec la célèbre maxime de Marcel Duchamp : « laisser pisser le Mérinos »…
Il est remarquable que Bustos Domecq, ce chroniqueur de la vie culturelle inventé par Borgès, ait donné son nom au romancier et essayiste français, Jean-Philippe Domecq, connu pour ses analyses courageuses et incisives de l’Art dit contemporain. Le vrai Domecq dut affronter des polémiques aussi violentes que mesquines, révélant combien le milieu de l’Art dit contemporain grouille de chacals, de hyènes, de serpents, sans compter les ânes. « Dans un souhait d’effacement ironique de l’auteur derrière l’oeuvre », posture très Borgésienne, Jean-Philippe Domecq prit donc pour pseudonyme ce nom imaginé par J.L. Borges …autrement dit, la fiction du nom a rejoint la réalité… Voilà qui est tout à fait patagonique.
Dans un entretien récent, Jean-Philippe Domecq concluait son propos en citant « Les mutins de Panurge » de Philippe Murray : ce qui nous ramène au texte de Borgès et introduit le sujet de notre prochaine lettre de Patagonie…
A suivre…
Cap Aristée
(1) « Chroniques de Bustos Domecq », Denoël p. 42 à 46
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- En 2013, l’écrivain a célébré à sa manière les 100 ans du premier ready-made de Duchamp, en organisant le ready-made, total et définitif, le READY-MADE ABSOLU, celui qui, normalement, devrait tarir la production en série qui nous envahit depuis 1913… Lien avec la vidéo (durée 27 mn) cliquez